Kinshasa: Noëlla meurt après avoir avorté en secret

Face à l’interdiction d’interruption volontaire de la grossesse quand celle-ci ne cadre pas avec la loi, beaucoup de jeunes congolaises perdent la vie en recourant à l’avortement clandestin. Noëlla – 23 ans – est décédée en mai dernier après avoir avorté en secret.
08-Juin-2020

Taille imposante, son bassin stéatopyge, Noëlla [prénom d’emprunt] avait la beauté qu’il fallait pour ne laisser aucun homme de sa rue insensible. Habitant une parcelle qui abrite en même temps une église pentecôtiste, elle devait garder une conduite pieuse pour plaire non seulement à sa mère, mais aussi à tous ceux qui fréquentaient l’église. 

Ayant déjà débuté la vie sexuelle, elle s’est trouvée à un copain, notamment pour l’aider à faire face aux besoins sociaux, sa mère étant une veuve. Cette dernière tenait absolument à la marier à un homme vivant en Angola.
« Un jour, Noëlla a appris que son amant d’Angola devait venir. Mais elle s’est retrouvée déjà enceinte de son copain de cambiste ici à Kinshasa. Pour ne pas vexer sa mère, elle a décidé d’avorter », explique Irène, sa voisine. Pour ce faire, Noëlla a recouru à l’expérience de son amie, Mireille, [prénom d’emprunt] qui a déjà avorté clandestinement. 

Début de calvaire

Mireille, sans trop demander à Noëlla, la conseille de consommer des médicaments permettant d’interrompre la grossesse, explique Irène. Une prise qui a effectivement permis à Noëlla d’avorter. Mais ce n’était que le début de son calvaire… Près de deux semaines après ce fait, Noëlla ne se sent pas toujours en pleine forme. Son bas ventre – au niveau de la ceinture pelvienne – lui fait atrocement mal. Noëlla sent également quelques odeurs émaner de son vagin. Elle décide d’aller en parler à son amie, Mireille. Celle-ci la conseillera de rester quelques jours chez elle pour ne pas éveiller le soupçon de la mère de Noëlla. 

Mais le court séjour de Noëlla chez son amie reste toujours infernal. Elle décide de rentrer chez sa mère et lui en parler. « Quand elle est rentrée, elle n’a pas dit à sa maman qu’elle avait avorté. Elle a plutôt évoqué des fièvres typhoïdes qui lui faisaient mal au ventre », explique Irène.  Sa mère décide alors de l’emmener à l’hôpital le plus proche. Après diagnostic et des questions, Noëlla avouera au médecin son acte posé trois semaines plus tôt. Et le médecin réalise que certains organes de Noëlla étaient en putréfaction. Il signe à l’immédiat un transfert vers les Cliniques universitaires de Kinshasa. 

Arrivée à cet établissement hospitalier, Noëlla ne survivra pas. Sa mère, inconsolable, avait appris la nouvelle de l’avortement depuis le centre de santé le plus proche, au quartier Delvaux, où Noëlla était amenée en premier lieu. Lors des funérailles, un grand secret a enveloppé le deuil de Noëlla. « Elle est morte de typhoïdes », communiquent la mère et l’entourage de la jeune fille à d’autres proches éplorés. Evitant ainsi d’évoquer l’avortement. 
          
Noëlla, loin d’être un cas isolé

Le drame qui a emporté Noëlla n’est pas isolé. Plusieurs jeunes filles congolaises perdent la vie dans ces circonstances. Le nombre d’avortements pratiqués en 2016, à Kinshasa, est estimé à 146 700, d’après les résultats d’une étude menée par des chercheurs de l’Université de Kinshasa en collaboration avec Guttmacher Institute, un institut de recherche qui fournit des statistiques sur le contrôle des naissances et l'avortement aux États-Unis et dans le monde. Ce qui représente un taux d’avortement de 56 pour 1 000 femmes en âge de procréer, signe  d’une pratique très fréquente dans la capitale congolaise.
« La grossesse non planifiée est la cause profonde de la plupart des avortements et nous avons constaté à Kinshasa que, sur l’ensemble des grossesses non planifiées, près de la moitié sont interrompues volontairement », avait déclaré le docteur Patrick Kayembe, co-auteur de l’étude et professeur de médecine et Santé publique à l’Université de Kinshasa. 

Protocole de Maputo

A Kinshasa, 6 grossesses sur 10 ne sont pas planifiées, selon Guttmacher Institute. Ce qui amène notamment des filles à pratiquer l’avortement clandestin, sans accéder à des soins de santé appropriés. Ce, au point de perdre la vie en recourant à cette forme de clandestinité. Cela est dû également aux pesanteurs de la loi (le code pénal congolais) qui interdit l’avortement volontaire pour des femmes dont la grossesse ne présente aucun risque. Malgré l’assouplissement apporté par le Protocole de Maputo en vigueur en RDC, qui autorise l'avortement dans des cas spécifiques (viol, inceste, danger pour la vie de la mère et sa santé mentale et physique...), la RDC continue toujours à enregistrer un taux élevé de décès maternels liés aux avortements pratiqués souvent dans des conditions dangereuses. Les méthodes contraceptives, qui constituent un moyen efficace pour prévenir les grossesses, ne sont pas très suivies. Le taux de prévalence contraceptive en RDC est aujourd'hui à 19%, selon le Programme national de la santé de la reproduction (PNSR). 

Dido Nsapu


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